PAUSE

par jean Pélissier professeur en MTC

La rentrée est là avec son cortège d’urgences, de programmations, de décisions. Ce texte inspiré de Jean Pélissier nous aidera à appréhender la réalité.

« Le calme est la maîtrise du mouvement. Celui qui sait s’arrêter voit le retour »

TaoTeKing–LaoZi

Il suffit parfois de s’arrêter pour mieux voir.

De suspendre le pas, de retenir son souffle, de ralentir le flot.

Dans notre monde saturé d’images, de vitesse, de réaction immédiate, ce simple geste devient un acte profond, presque révolutionnaire.

Le taoïsme nous enseigne que c’est dans le calme que se dévoile le sens, et que celui qui sait faire une pause accède à une vision plus juste, plus vaste.

La vie est un film.

Une immense bobine déroulée jour après jour, scène après scène, sans répétition ni prise 2.

Nous sommes à la fois scénaristes, réalisateurs, figurants, cascadeurs… et acteurs principaux de ce long métrage unique.

Mais dans cette course folle, dans ce flux ininterrompu d’images, de sons, de pensées, de gestes, une sagesse ancienne nous invite à ralentir.

Mieux encore : à appuyer sur pause.

À redécouvrir le pouvoir de l’image arrêtée, comme une respiration offerte au cœur du tumulte.

Arrêter l’image, ce n’est pas fuir le mouvement de la vie.

C’est au contraire l’épouser plus intimement.

C’est reconnaître, dans le tumulte, la beauté fugace d’un instant.

C’est choisir de s’imprégner d’un regard, d’une émotion naissante, d’une lumière sur un mur, avant qu’ils ne soient emportés par le flot.

C’est dire intérieurement :

je vois, je sens, je goûte… et cela suffit.

On se revoit, une seconde avant la vague, respirer, sourire peut-être.

On retrouve la racine avant que ne monte la tempête.

Cet art s’apprend.

Il se cultive.

Il se polit dans les gestes simples du quotidien.

Boire un thé comme si c’était la première fois.

Écouter une voix sans rien anticiper.

Marcher sans destination.

Regarder un visage comme on contemple un paysage rare.

Cet arrêt sur image n’a rien d’une passivité ;

c’est une pleine présence.

Une manière d’ancrer le corps dans l’instant, d’offrir à l’esprit un havre de paix, et de rappeler au cœur que rien n’est à fuir ni à accélérer.

Et puis il y a ces arrêts sur image choisis.

Ceux que l’on grave dans notre mémoire affective.

Un paysage au détour d’un voyage.

Une ride sur le front d’un être aimé.

Un coucher de soleil saisi entre deux immeubles.

Aujourd’hui, nous stockons à l’infini.

Nos téléphones débordent de clichés jamais regardés.

Mais combien de ces images ont vraiment été vécues ?

L’œil, à force d’être saturé, perd en profondeur.

Il est temps de réapprendre à photographier avec l’âme.

Non plus pour accumuler, mais pour honorer.

Une image, une vraie, suffit à nourrir l’esprit tout entier.

C’est ainsi que les maîtres taoïstes vivaient :

un seul regard sur une feuille qui tombe pouvait les inspirer pendant des heures.

Non pas parce qu’ils étaient lents, mais parce qu’ils étaient là, totalement là.

Arrêter l’image, c’est aussi arrêter le temps.

C’est découvrir, au cœur du mouvement, une immobile clarté.

C’est créer un silence intérieur entre deux pensées.

Une inspiration profonde avant une parole importante.

Une suspension avant un choix.

Nous vivons dans une époque où tout défile trop vite.

L’arrêt sur image devient alors un acte de résistance douce.

Une manière de dire :

je choisis de voir.

De vraiment voir.

Pas seulement ce que mes yeux captent, mais ce que mon être entier peut accueillir.

Il ne s’agit pas de tout ralentir, ni de figer la vie.

Il s’agit simplement d’apprendre à mieux la regarder.

À mieux l’habiter.

Une image à la fois.

Et parfois, au détour d’un silence, au creux d’un regard suspendu, surgit une forme de poésie.

Une résonance intérieure.

Alors les mots d’un autre maître de la contemplation, Paul Claudel, peuvent dire ce que notre cœur devinait confusément :

« L’œil écoute, et l’oreille voit.
Le brin d’herbe est un monde, et l’onde est un miroir.
Il suffit d’un moment pour que l’éternité passe.
Le silence est un temple et le regard un or. »
Paul Claudel